Pinceaux & Co
Mauvais genre. À peine le blog entamé, une longue pause.
A vrai dire les conditions d'arrivée dans un pays étranger, fut-il natal, ne facilitent pas l'entretien régulier des écrits, aussi légers soient-ils, que l'on entend laisser sur la toile. Le séjour a commencé agréablement, pour se remettre des trente heures de voyage, des six heures de décalage horaire et des 180 kilogrammes de voyage égarés par la compagnie aérienne, par un séjour sur la côte atlantique. Étonnement d'ailleurs, à ne pas y rencontrer la foule attendue, en tout cas telle que mes souvenirs me la laissaient présager. Cyniquement, je dirais presque soulagement aussi, après quelques années privilégiées dans des lieux touristiques, balnéaires ou non, ou les touristes se comptaient au maximum par dizaines. Renseignements pris, il semblerait que cette année mes compatriotes aient renoncé pour beaucoup d'entre eux, trop sans doute, aux habituelles vacances d'été. Chacun y va de son analyse que l'on a pu entendre à droite à gauche, sur le changement de comportement des Français face à leur congés, l'aspect moins grégaire de leurs loisirs.
On mentionnera aussi une probable inquiétude face à la dégradation des conditions de vie et du fameux "pouvoir d'achat". Car si une ritournelle me frappe en ces premières semaines sur le territoire national, c'est bien celle-ci. Pouvoir d'achat par ici, pouvoir d'achat par là. Je n'ai pas encore bien saisi si on a bien fait la distinction entre la garantie de conditions de vie décentes pour la France qui rame, la frénésie de consommation inutile de la France qui brâme, ou les croissants privilèges de la France qui se pâme. A-t-on réalisé ici que les revendications de pouvoir d'achat supplémentaire qui permettra à Kévin de se payer sa dernière console peuvent apparaître quelques peu indécentes face au niveau de vie sur le reste de la planète, voire scandaleuse quand on connaît l'empreinte écologique de chacun d'entre nous ? Restent les Français qui véritablement connaissent des difficultés, peine à envoyer leurs gamins en centre de loisirs ou s'inquiètent des coûts de la proche rentrée.
Et vu le rythme de désengagement de l'État en cette ère thatchérienne que connaît le pays, leur situation n'est pas prête de s'améliorer. A titre d'illustration anecdotique je retiendrai la diminution d'au moins 20% du nombre de CRS maîtres-nageurs sauveteurs sur les plages du littoral. Evidemment leurs absence ne nuira pas aux plages des communes côtières les plus chics et les plus fortunées, mais bien à celles les plus populaires. Tout est dans le détail.
En attendant je retourne aux spatules et pinceaux pour l'aménagement de ce qui me servira de lieu de vie. C'est une joie, il y a maintenant l'eau, le gaz, l'électricité et internet. Manque le reste, toujours coincé dans un container au fond d'une cale de bateau qui n'en finit pas d'arriver en retard. Ce qui va nous permettre de poursuivre les sensations de camping d'intérieur, vraisemblablement aux jour d'après la rentrée. Du bonheur en perspective.
Plaisirs de canard
Le 7 août
Un des grands plaisirs simples en ces premiers jours de retour est d'apercevoir la une du Canard enchaîné dans les kiosques. A vrai dire, quand on habite loin de la terre patrie, il n'est pas rare qu'occasionnellement un voyageur égaré remette aux exilés l'édition de la semaine, permettant un contact succint avec les huit pages imprimées en trois couleurs, parsemées de petits caractères et de petits mickeys. On s'égare alors un instant entre les gros titres dont l'écho a pu nous parvenir au-delà des frontières, et les éclaboussures de mares aux canards dont les mesquineries n'ont heureusement, la plupart du temps, pas d'audience internationale, excepté l'écho que leur donnera éventuellement les ambassades étrangères à Paris.
Mais manque le rendez-vous hebdomadaire, ces mercredis matins décourageants quand la semaine à faire est toujours plus longue que celle écoulée, et lors desquels un bref passage au kiosque à journaux procure le joie des rires et sourires à venir, plongé sous les ailes du Canard. Après quelques années sur d'autres terres, confronté à toutes sortes de presses médiocres, peu soucieuses de la qualité rédactionnelle, de l'exactitude de l'information ou de l'indépendance face aux pouvoirs établis et aux fortunes régnantes (on me dit que ces qualificatifs peuvent aussi s'appliquer aux titres de ma nouvelle terre de résidence), on ne peut que savourer la forme et le fond du Canard enchaîné.
Vu de loin, puis de plus près, le Canard en apparaît comme un des piliers inoxydables de notre démocratie. Autant sinon plus que le Parlement, dont les dernières réunions à Versailles n'ont apporté que de contestables améliorations à l'appropriation du régime par ses citoyens. Autant sinon plus que le Conseil constitutionnel, dont le petit pactole touché par l'ancien président dans l'arbitrage de l'affaire Tapie laisse songeur sur les prébendes légales des offices de la République, et le discrédit que celle-ci subit malheureusement par contrecoup.
con-cur-rence
Le 6 août
Encore un peu assommés par le décalage horaire, qui excuse nos grasses matinées, il faut songer aux détails de l'installation. L'appartement est visiblement à rafraîchir, côté peintures et déco. Rien de surprenant, rien de grave, mais tant à faire avant l'arrivée du déménagement, que nous souhaitons paradoxalement la plus proche possible.
Surprise aussi de se trouver confrontés aux offres diverses pour les services de base. J'avais souvenir d'un EdF et d'un GdF, tout simples et tout seuls. Là, visiblement, les choses ont évolué. La con-cur-rence, disent-ils, avec un air mystérieux qui me laisse sur ma faim quant à savoir si l'opération a été profitable ou non (pour le pays, j'entends. J'imagine bien que certains ont effectivement brillamment tiré leur épingle de l'usine à gaz). Pour ma part, je crois que j'en resterai aux choix classiques. Probablement par manque total de cet esprit d'entreprise et de con-cur-rence qui me caractérise. Reste à affronter les services téléphoniques pour établir de nouveaux contrats. Déjà dix minutes au bout du fil sans résultat bien concret. La ligne coupe. Carajo.
D'ailleurs, à propos de ligne, il va falloir aussi choisir un forfait pour le cellulaire. Petit tour sur le ouèbe. Car... (otra vez). Là, ce sont des dizaines d'offres qui s'affichent dans les comparateurs d'offres.
Éprouverions-nous tous à l'identique ce besoin d'être si différents ?
Arrivée
Le 4 août
Après une trentaine d'heures de voyage, me voila prêt à rentrer officiellement sur le territoire national. Le teint cireux et les traits tirés d'une nuit sans confort dans une boîte de conserve volante, des voyageurs de tous horizons des Amériques avancent mollement, dans l'attente en attendant d'être appelés aux guichets. Derrière nous, une famille d'Argentins, un peu déboussolés eux aussi. Le môme, probablement quatre ans, avec des airs du Felipe de Quino, échappe un instant à ses parents et se faufile sous le bocal abritant deux agents de la police de l'air et des frontières. Alerté, le père suit spontanément son gamin pour le ramener dans le bon chemin. Hystérie du représentant de l'ordre, qui se rue hors de son bocal, la main sur la crosse de son arme de service. Les dangereux criminels argentins, père et fils, sont sévèrement admonestés, et leur ignorance probable de notre langue leur permet d'ignorer le contenu même de la réprimande, tout en se confondant en excuses hispanophones. Mes filles, qui n'ont jamais vécu en France, regardent la scène avec des yeux écarquillés. Jamais elles n'avaient vu un policier armé courir après un gamin. Un collègue de la PAF, visiblement désoeuvré, ne bronche pas et continue de draguer assez lourdement les jeunes hôtesses d'accueil en veste d'accueil orange vif d'accueil.
"Bienvenue en France" proclame l'affichage, une fois le guichet passé et nos passeports inspectés avec suspicion. Il restera, pour que cette longue journée se termine, à régler le problème des 11 - onze - pièces de bagage qui ne seront pas apparues pas sur le tapis roulant. Et à profiter, petite joie proustienne, d'une tranche de brioche au goût fondant.